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Savez-vous lire un clocher? Et autres questions à l’historien, au théologien, à l’architecte…

Ce qui suit est un reflet des conversations avec les passants de ces derniers étés, avec pour fil directeur la pensée de saint Maxime le Confesseur (580-662) et sa Mystagogie qui imprègne tout de l’art roman, de la plus humble des églises de campagne à la plus flamboyante des cathédrales:
Depuis toujours, depuis le premier chapitre du premier livre de la Bible, tout est image pour rendre intelligibles dès ce monde sensible les merveilles du monde spirituel où déjà, depuis la Résurrection, nous sommes introduits.
Ce que nous nous proposons d’expliciter avec notre lecture de l’enclos paroissial de Saint Paul sur Ubaye étape provençale de toujours dans la traversée des monts entre Rome et l’Ibérie ou la Gaule,  entre Durance et Piémont.


Une église, à quoi ça sert? Depuis Moïse, Dieu convoque et rassemble son peuple à l’entrée de la Tente de l’Alliance. Désormais c’est Jésus-Christ Ressuscité qui convoque et rassemble devant le Sanctuaire, le chœur de l’église. L’art roman, inspiré de « la Mystagogie » de saint Maxime le Confesseur (VII° siècle) et reprenant le système d’images, -géométrie et arithmétique-, du Temple, récapitule l’Alliance nouvelle et éternelle de YHWH :
« Je suis votre Dieu et vous êtes mon peuple »

L’art roman déploie images et symboles. -Dans le christianisme le symbolon rassemble, en quoi il s’oppose  au diabolon qui divise-. L’église romane est image d’un homme, Jésus-Christ. En toute modestie, la plus humble  parmi les églises romanes est, à l’instar du Temple de Jérusalem, image de notre personne cependant qu’elle nous dit que l’homme est la mesure de toute chose. Leçon de théologie et d’anthropologie donc.

Toutes ces églises romanes partout en Europe latine, à ce moment-là, pourquoi? Les XII°-XIII° siècles sont un temps privilégié, peu de troubles ou de guerres, pas de famine, ni de peste. La démographie et les mentalités s’en ressentent, on circule beaucoup, les échanges croissent, les bourgs naissent et se multiplient. C’est le temps des pèlerinages aux grands tombeaux de la chrétienté, Jérusalem, Rome, Saint Jacques, tout près de nous à Saint Maximin, sainte Marie-Madeleine… Il faut davantage d’églises.

Alors, pourquoi romanes? Depuis le X° siècle la spiritualité occidentale, et donc les modes de vie, sont de nouveau contaminés par des courants de pensée relevant du néoplatonisme et du manichéisme. Contamination puissante dont les conséquences affectent  peu ou prou tout de l’activité humaine, de la vie personnelle jusqu’au plus haut de l’organisation sociale. En passant par la sexualité et la procréation qui s’en trouvent disqualifiées, maudites: le mariage dit-on est chose impie! C’est toute la vieillesse du monde qui resurgit, qui voudrait que le monde sensible, matériel, et le monde spirituel soient séparés et antagonistes; que l’âme supposée d’essence divine soit tombée en disgrâce, prisonnière du corps déclaré lui matière impure; que parmi les hommes il y ait les parfaits et d’autres qui le seraient beaucoup moins… Pour les manichéens, bougres, patarins, lombards, cathares, et autres « bons chrétiens » comme ils s’appellent eux-mêmes, il y a deux divinités, l’une pour le Bien et dont l’âme humaine serait une parcelle déchue, l’autre, YHWH, créateur du monde matériel, dieu du Mal. Le bien et le mal érigés très au-delà de la morale au niveau de la métaphysique! Diabolique non ? –Les premiers pogroms antisémites en chrétienté se produisent à ce moment-là et c’est à Cologne-. Dans une longue et pour finir très âpre dispute à travers toute l’Europe, dont les champions se nomment saint Bernard, sainte Hildegarde de Bingen, puis saint Dominique, saint François d’Assise, l’Eglise proclame les vérités de l’Evangile, elle doit chanter la gloire du Dieu Un et Trine, exalter l’homme nouveau. Elle doit réaffirmer, envers et contre tous, que chaque individu de l’espèce humaine est unique car doté d’une âme créée qui l’établit aux yeux de Dieu en tant que personne, qu’au terme de l’histoire des Alliances cette personne déchue par la faute d’Adam est restaurée dans le sacrifice de Jésus-Christ image de Dieu. Libre à elle de vivre désormais dans la ressemblance, dans la Filiation Divine sur les pas de Jésus-Christ, le Nouvel Adam.
L’architecture des lieux de culte, c’est nouveau devient langage et d’abord pour signifier à tous, du milieu de la cité et en contradiction avec les idées à la mode, que le Bien c’est le créé. Que le mal  n’est jamais que refus du Bien, qu’il lui doit tout, qu’il est au Bien ce que l’ombre est à la lumière. Leçon d’anthropologie, elle situe la place de notre âme, -créée immortelle et qui nous établit capax Dei-, par rapport à cet ensemble psychosomatique de chair et de sang que nous avons l’habitude d’appeler notre corps qui nous lie au monde matériel. Elle figure en outre le cheminement de l’Homme Nouveau sur les pas du Christ  depuis son baptême jusqu’à sa déification par grâce.
L’église au centre du bourg est donc une Présence. C’est une Parole vivante, un langage accessible à tous dès lors que la « nouvelle évangélisation » porte ses fruits. Un langage qui a sa syntaxe propre et ses codes caractéristiques de l’art roman.
 
C’est complètement disproportionné! Vue de la vallée, l’église Saint Pierre et Saint Paul, bien campée sur ce qui est sans doute un antique castrum des routes de l’empire romain, affirme son règne sur ce passage obligé, elle est  promesse de repos et de paix pour le voyageur après les aléas des chemins.
« Nisi Dominus….  Si l’Eternel ne garde la ville, c’est en vain que veillent les gardes..»(Ps 127)

Une église si grande au milieu d’un si petit village, toute cette place prise par l’enclos paroissial, et le presbytère! Quand justement en montagne la place manque toujours…
Alors qu’on manque de parking (sic)!
Mais il faut bien donner à Dieu toute sa place parmi les hommes, non ? Il faut montrer aussi que le monde spirituel est, grâce au Christ ressuscité, omniprésent dans notre quotidien… Sans oublier que le bourg de Saint Paul fut prospère depuis l’antiquité jusqu’au milieu du XIX° siècle. Avant les guerres du XX°siècle si meurtrières et dommageables la commune comptait plus d’un millier d’âmes.

 

Comment entre-t-on? C’est vrai, au passant pressé notre église oppose sa haute muraille presque aveugle, sans porte apparente. Elle semble dire: « cherche ! » C’est que ses bâtisseurs, en charge de la nouvelle évangélisation d’alors, sont les moines chalaisiens de l’abbaye voisine de Boscodon dans le val de Durance. Montagnards, laboureurs, bûcherons, hospitaliers, théologiens surtout. Ils sont de la grande famille bénédictine, « Prie et travaille » est leur règle de vie. La quête de Dieu est un effort volontaire, nécessaire, patient, qui sollicite dans un constant dialogue toutes nos qualités de cœur, et toutes nos qualités d’âme.
Loin de se refuser notre église au contraire propose une initiation au mystère.

Les églises romanes sont souvent sur un plan cruciforme, pas ici…  Oui, mais la croix elle-même est en forme d’homme, non ? Notre église comme toutes les églises romanes est un homme, Jésus-Christ ressuscité dans son corps glorieux.
Le sanctuaire en est la tête, une tête inclinée comme l’est celle du Crucifié mort en croix. La clé de la croisée d’ogive, -la pierre rejetée des bâtisseurs et devenue pierre angulaire-, évoque l’Agneau sans tache du sacrifice et tout autant l’Agneau Vainqueur de l’Apocalypse. Dans le temple de Jérusalem l’autel était le cou, lieu d’application du sacrifice très sanglant à la divinité. Ici plus de victime de substitution mais Jésus mort et ressuscité, à la fois l’unique victime agréable à Dieu, l’autel lieu du sacrifice unique et non sanglant, le prêtre sacrificateur. Aussi l’autel est-il au cœur du sanctuaire.
Le Saint des Saints où le Grand Prêtre s’entretient sans cesse avec YHWH c’est le tabernacle où Jésus Christ notre Grand Prêtre est continuellement présent dans le pain consacré.
Pas de transept pour figurer les bras du Christ en croix, mais une poutre de gloire pour faire l’unité entre ceux de la nef et ceux du sanctuaire. Car c’est bien cela le rôle de l’Eglise:
« Qu’ils soient un comme toi et moi sommes un… ».
La nef à deux travées en est le cœur et les entrailles (au sens biblique de ces mots).
-. « Travée des hommes », au contact de la fermeture du sanctuaire, -de cette fermeture initiale demeurent des cicatrices dans la maçonnerie et surtout la table de communion-. La clé de la croisée d’ogive y est ornée d’un astre rayonnant, car au cœur convergent toutes les informations perçues par les cinq sens et d’abord la Parole, ainsi que celles en provenance de la raison. Du cœur partent les actions et d’abord l’amour, pour conduire la Vie, tant ici-bas que dans le Royaume. Cette travée possède un porche latéral, la « porte des hommes ».
-. « Travée des femmes » en image des entrailles maternelles de Dieu, lieu de la miséricorde, de la purification, du pardon. Là est la porte d’entrée, comme au Temple car c’est par la femme qu’on entre dans la vie. Là se trouvent les instruments de la purification, baptistère, bénitiers, confessionnal. Là aussi le lieu de la dévotion constante à la Vierge Marie notre mère avec une évocation de l’histoire millénaire des confréries de pénitents. A la croisé d’ogives une image de l’agneau de Dieu salué par saint Jean Baptiste lors du baptême au Jourdain.
« Voici l’agneau de Dieu, celui qui enlève le péché du monde.. »

Une peau? Tout organisme vivant est délimité par une membrane dont la fonction est de séparer ce qui est dedans de ce qui est dehors, c’est-à-dire, selon la règle de vie propre à l’organisme, d’autoriser les échanges nécessaires ou utiles à la vie et d’interdire ceux qui seraient nuisibles ou mortels. « Séparer », avec la Parole c’est un acte essentiel du Créateur aux jours de la Genèse, qu’il s’agisse de la lumière et des ténèbres, des eaux d’en haut et d’en bas, de la terre et de la mer, du jardin d’Eden dans son enclos, de l’homme et de la femme. [S’agissant de la vie où Dieu sépare et unit, -c’est tout le sens de l’homme et de la femme, tout le sens du mariage-, l’homme serait bien présomptueux de penser pouvoir nier la séparation  homme-femme, il serait bien imprudent de séparer ce que Dieu unit, …Et encore bien davantage de prétendre unir ce que Dieu n’a pas séparé]
Dans notre système d’images, c’est le mur d’enceinte de l’enclos paroissial qui figure la peau en séparation du corps glorieux du Ressuscité d’avec le monde créé sensible. A l’intérieur de l’enclos règne la règle de Vie du Maître de Maison des évangiles qui dit qui peut entrer et qui ne le peut, qui est dedans et qui est dehors. Maçonnerie haute de quatre coudées environ, l’enceinte originelle englobait  église, chapelle et cimetière. Elle était percée de trois portes, l’une toujours en place au Nord-Est, les deux autres au Nord-Ouest déplacées récemment entre chapelle et église. Ne reste de la partie nord du cimetière, désormais extérieur à l’enclos, que le monument aux morts des dernières guerres scellé dans le mur de l’église. [remarquable, sculpté à la demande du président Paul Reynaud, enfant de Saint Paul, par son ami Landowski, l’auteur du Christ de Rio de Janeiro]
La petite « porte » du Nord-Ouest, sorte de guichet, était l’accès à l’enclos pour les enfants morts sans baptême dont les parents, c’était leur grand souci d’alors, demandaient ainsi à Dieu très miséricordieux qu’en dérogation à la bonne règle d’accès leur enfant soit néanmoins admis pour la Vie dans la communion des saints. La miséricorde divine, cet amour dont la Bible dit parfois (Osée, Isaïe) qu’il va jusqu’à se retourner contre la Toute Puissance divine, jusqu’à faire violence à la justice divine, pour faire droit au pauvre qui appelle.

Ils n’avaient pas l’électricité… Le travail de l’architecte sur la lumière et sur l’acoustique est l’une des clés de lecture de l’ouvrage roman. Les voûtes, l’emplacement de la chaire ou de l’ambon d’où est proclamée la Parole optimisent l’acoustique dans la nef où cette Parole doit retentir. Acoustiquement, sanctuaire et nef sont découplés les paroles de la consécration étant alors prononcées dans le secret.
Orientation. Le plus souvent les églises sont orientées vers le soleil levant, image de la Résurrection. Pendant le Saint Sacrifice du dimanche matin premier jour de la semaine, qui est aussi le matin du 8° jour de la Création et donc moment d’ « éternité », les chrétiens sont convoqués et rassemblés dans la communion des saints pour faire mémoire de la mort et de la résurrection, dans l’attente du Retour du Christ. Pour contempler Dieu moins dans ses oeuvres que dans sa Gloire.
C’est donc le soleil levant qui éclaire d’abord le sanctuaire par les deux fenêtres de l’abside. Pour préciser le sens de cette disposition il faut noter qu’à l’origine l’abside était percée d’une troisième fenêtre, un oculus central au-dessus des deux autres, obturé au XV° siècle pour consolider la maçonnerie. Ce travail sur la lumière pour proposer à la méditation du fidèle l’unique lumière matinale dans une triple manifestation, en image très simple de la Sainte Trinité. Il y a là plus qu’une hypothèse car cet oculus obturé est remplacé à l’intérieur du choeur depuis le XV° siècle par une fresque figurant le Créateur au premier jour de la Genèse. La fresque en outre confirme notre hypothèse par la présence d’anges en adoration de part et d’autre des fenêtres. Enfin, il s’agit du retour du Christ dans la gloire à la fin des temps pour juger les vivants et les morts, en attestent les pieds d’arête figurant à sa droite les brebis, à sa gauche les boucs.
 
Ici l’axe de la nef est orienté Nord-Est, Sud-Ouest. Très exactement car il s’agit d’un acte délibéré, en atteste à nos yeux le gnomon au sommet de la façade. Il indique la « troisième heure » après le passage du soleil au méridien, l’heure de la mort du Christ. La grande verrière de la façade illumine donc la nef d’un chemin de lumière vers l’autel du sacrifice à l’heure même où tout est accompli! C’est à la Passion intérieure que le fidèle est appelé dans sa vie spirituelle cependant qu’il monte vers l’autel du sacrifice.

 

Pourquoi la Vierge est-elle sans visage ? « Ils » auraient pu quand même lui faire un visage (sic)… Aucune paresse de la part du fresquiste. Ce que signifie la fresque du tympan n’est pas à lire dans l’expression de douleur du visage d’une mère recevant le corps de son fils, fut-elle la Mère de Jésus-Christ au pied de la croix! Il ne s’agit pas d’une Pieta, l’art roman est étranger à ce genre artistique qui fera florès après le quattrocento. Il s’agit ici, dans la logique exprimée par la façade, de signifier la mort de Jésus-Christ en accomplissement de l’Alliance avec l’image de la séparation de sa chair et de son sang. Le fronton du portail suggère un pressoir où le fruit de la vigne d’Israël, Jésus, exprime le vin qui devient le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, de même que du tympan sont répandus le sang et l’eau issus du coté ouvert de la chair du Crucifié. L’eau du baptême en surabondance pour qui demande l’accès, en rémission des péchés. Ce que signifient, comme partout dans l’art roman, les voussures et colonnettes du portail qui rassemblent dans la même image en cataracte toutes les eaux du Ciel et de la terre. L’eau mais pas seulement disent tympan et fronton, le sang et l’eau, et celui qui rend témoignage c’est l’Esprit, « … et ce témoignage le voici : Dieu nous a donné la vie éternelle, et cette vie est dans son Fils » (1Jn 5).

Vue du cimetière, la porte étroite de l’église est comme l’entrée d’un tombeau.
Si nous mourrons avec lui, avec lui nous vivrons
Si nous vivons avec Lui avec Lui nous règnerons.

Notre façade exprime dans la sobriété et en toute fidélité à saint Jean et à saint Paul, ce qu’est la démarche essentielle du chrétien: plonger dans la mort au péché avec le Christ et devenir Dieu par  grâce avec Lui.

L’âme. L’image de l’âme humaine du Christ ressuscité c’est la flèche à plan octogonal reposant sur la tour carrée du clocher. Le clocher et sa flèche sont un condensé de la symbolique des nombres et des images du langage de l’art roman:
- le triangle, pour signifier la vérité car indéformable, souvent en évocation de l’Evangile
- le carré, pour signifier l’ordre initial de la Création. La matière, le concret, le monde créé sensible
- le cercle, pour signifier le Ciel, le spirituel, l’abstrait, le monde créé invisible
- 2, pour le monde créé visible et invisible
- 3, pour le Vrai, le Beau, le Bien, mais aussi en évocation de la sainte Trinité
- 4, pour les 4 évangiles comme un tétraèdre: un et indéformable comme la vérité ; pour les 4 vertus cardinales
- 6, pour exprimer une totalité, un achèvement
- 8, pour les 6 jours de la création +le shabbat + le jour de la Résurrection. Le temps donc, passé, présent, avenir et, depuis l’accomplissement des temps dans la mort et la résurrection du Christ, l’actualité de notre vie pour toujours en Dieu, ce huitième jour qui est aussi l’ « aujourd’hui des jours » du Ps 94 et de la Lettre aux Hébreux. Une notion théologique du temps pour faire rire nos maîtres penseurs soit, mais les plus modernes de nos physiciens eux n’en riront pas. Notons que la « gloire » de 8 (1+2+3+…+8), soit 36, est le nombre de l’homme pour les hébraïsants, l’homme-Adam promis à la vie en Dieu, on dit aussi la « vie éternelle »… Au lecteur de découvrir la « gloire » de 36 qui signifierait l’excès condamnable en matière d’humanité!
- 10, (4+6) pour le Décalogue résumé de l’Alliance ; (5X2) pour la « Lyre à dix cordes » du psaume 32 et des Pères de l’Eglise, cette activité harmonieuse de l’âme entre prière et travail. 10 est aussi la « gloire » de 4 (1+2+3+4)
- 12, les tribus d’Israël, les Apôtres, certes mais aussi les heures qui passent. Ou (3+4+5) le triangle de Pythagore, la corde à 12 nœuds qui est avec la pige l’outil nécessaire aux bâtisseurs d’alors.

Le clocher exprime ses fonctions municipales : symbole de fierté communale, tour de guet, émetteur de signaux convenus et de nouvelles à l’adresse des gens du bourg dispersés dans les environs: tocsin, glas, offices, baptême, mariage, angélus….Il participe en outre, à sa façon, du langage de l’église romane en rappelant et proclamant urbi et orbi que le monde visible est voulu par Dieu et vit de l’Alliance passée avec les hommes. C’est une tour carrée image du monde créé sensible, éclairée en référence à l’histoire de l’Alliance: huit fenêtres (2X4) au premier étage; douze fenêtres (4X3) au deuxième. Aux angles du sommet quatre pyramidons tétraédriques affirment la Vérité des quatre Evangiles aux quatre points de l’horizon.
De là s’élance la flèche dans un mouvement d’éternité, ce que signifie le plan octogonal de l’ouvrage.

Pourquoi ces ergots sur les 8 arêtes,  un souci esthétique, ou bien une sorte d’échelle?
La flèche, élégant triangle se détachant sur le fond du ciel est une vue en perspective du chemin vers la Vie Eternelle. -Ceux qui vont répétant que ces âges reculés ignoraient la perspective ne se sont jamais demandé quel sens il peut y avoir à ériger des objets aussi périlleux dans les ciels de la chrétienté-. Le Ciel au loin est d’ailleurs évoqué avec la petite sphère posée à la pointe. La flèche présente à tous les horizons des 8 jours de la Création l’image des deux pentes de l’âme humaine: selon le monde sensible et c’est la pente de la raison; selon le monde spirituel et c’est la pente de l’intellect. Le travail et la prière.
Selon les Pères de l’Eglise, l’intellect en puissance de la prière contemplative et dont l’achèvement est la Vérité, la raison en puissance de l’action et qui tend au Bien. L’âme par conséquent émetteur-récepteur de la vie en Dieu.
La flèche est donc l’image du chemin du Ciel jalonné d’étapes à parcourir tout au long des huit jours de la vie. Ici huit étapes de la base au sommet, comme à la tour nord de Chartres, comme à Strasbourg et sans doute ailleurs. Parfois il y a deux flèches comme à Chartres pour proclamer Urbi et orbi les deux natures, humaine et divine de Jésus Messie. Toujours figurent au sommet, en forme d’accomplissement avant le Ciel, l’image des quatre vertus cardinales:
Prudence, Tempérance, Force, Justice.
Ces vertus, humainement acquises, sont les fruits et les germes des actes moralement bons car elles disposent toutes les puissances de l’être humain à communier à l’amour divin. On est là au sommet du chemin de la Vie. Le but d’une vie vertueuse consiste en effet à devenir semblable à Dieu  (Sg 8,7 mais aussi saint Grégoire de Nysse)

Les trois dernières étapes, au-dessus des évents supérieurs, se situent déjà dans la béatitude:
le Vrai, le Beau, le Bien.
Entre les évents supérieurs et inférieurs, la « lyre à dix cordes » du psaume 32.

« Prie et travaille » enjoint la règle de saint Benoît, et c’est ce que dit à tous, passants et paroissiens, la flèche de notre clocher, l’âme qui chante comme une lyre. En effet l’intellect à travers la sagesse est en puissance de la contemplation et de là mène à la connaissance, à la connaissance sans oubli, jusqu’à la Vérité. Simultanément, la raison à travers la prudence est en puissance de l’action et de là mène à la vertu, à la foi, jusqu’au Bien. L’harmonie en tout cela est à trouver dans la fécondité des dialogues entre intellect et raison, sagesse et prudence, contemplation et action, connaissance et vertu, connaissance sans oubli et foi….
La raison en puissance de la foi? Pour nos contemporains qui ont l’habitude d’opposer foi et raison la chose est singulière, mais à la réflexion, est-ce bien …raisonnable?

Pour nous, (une musulmane) la sépulture doit être orientée et non pas dans tous les sens comme ici… Dans la plupart des religions en effet la sépulture est orientée vers le Levant et veut signifier l’espérance d’une relevée. Ici, l’apparence est peut-être trompeuse mais notre enclos paroissial a conservé l’ordonnancement de toujours en chrétienté. Toutes les sépultures, ou presque, sont bel et bien orientées, non pas vers l’horizon lointain d’une espérance incertaine, mais vers l’église où se renouvelle ici et maintenant le sacrifice une fois pour toutes. L’enclos paroissial dans son ensemble est une dernière image propre à l’art roman, l’église plantée au milieu des morts est Jésus-Christ vivant  pour être parmi les morts le premier ressuscité. L’enclos paroissial est image vivante de la communion des saints dans le huitième jour par son mouvement d’adoration envers l’homme Jésus deuxième personne de la Sainte Trinité.